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Mary-Anick Lalé
mary@zebra-partners.com
Le CDO est celui qui va devoir mener, parfois à marche forcée, la transformation digitale des entreprises, voire son accélération quand les intentions sont déjà là… Dans cette expression, le terme de « transformation » compte beaucoup plus in fine que celui de digital. Il devrait d’ailleurs s’appeler Chief transformation officer plus que Chief digital officer.
Un leader ou expert du digital, aussi brillant qu’il puisse être, n’est pas suffisamment armé (voir assez généralement pas du tout) pour mener tout seul une transformation interne au sein d’une organisation non digitale native. D’autant moins s’il vient de l’extérieur et est étranger au secteur de l’entreprise au sein duquel il va devoir opérer, de surcroit si c’est une ancienne et lourde structure avec tout un historique, son héritage parfois séculaire, ses racines.
S’il est perçu comme abordable de faire bouger les choses quand on est chez un GAFA (en encore) et que l’on vient présenter de nouvelles solutions à une entreprise, la chose est tout autre quand on se trouve à l’intérieur.
La conduite de la transformation, digitale ou pas, ne s’invente pas. Autant qu’une connaissance approfondie du digital et de ses promesses « merveilleuses », il faut de la méthode. La transformation est un processus long et souvent douloureux. En interne, la résistance au changement est souvent forte, ce n’est pas nouveau, et il y a souvent de bonnes raisons à cela (si, si).
Même si l’entreprise sait qu’elle doit y aller (d’ailleurs pourquoi le sait-elle ? sur quelles bases ?) elle sait ce qu’elle va perdre, mais ne sait pas ce qu’elle va gagner, ni à quelle échéance, et souvent encore moins comment mesurer les gains issus de cette transformation. Bien entendu, quand on parle de revenus additionnels, par exemple un écosystème e-commerce) les choses deviennent palpables.
Mais ce n’est pas toujours le cas, c’est bien souvent long et peu visible…
Dans notre activité de recrutement, nous voyons trop souvent des talents brillants, débauchés chez les GAFA ou autres fleurons du digital à coup de rémunérations attractives , attirés par la promesse de révolutionner une industrie vieillissante, gonflés à bloc par la volonté de changement affichée d’un PDG qui doit montrer à ses actionnaires qu’il prend le taureau par les cornes en s’attachant les services d’un candidat issu d’une entreprise dont le nom à lui seul serait apte à en assurer le succès. Effet bien artificiel…
Nous les voyons trop souvent, tels des Don Quichotte, enfiler leur destrier high tech, leur costume technoïde, saisir leur lance digitale, partir à l’assaut des moulins à vent…et s’écraser contre les murs de la résistance au changement. Le blast inversé. Comme si un seul individu, sous prétexte qu’il a fait carrière dans un de ces fleurons de la nouvelle économie, pouvait à lui seul réussir, sans expérience de la conduite du changement, sans réel appuis…un peu d’humilité et de pragmatisme, que diable ! Et de clairvoyance aussi.
La responsabilité est partagée. Pointons d’abord celle des entreprises qui recrutent leur ‘Ronaldo digital » sans s’assurer du bon atterrissage du gros porteur XXL venu mené la reforme. Evoquons aussi celle de l’heureux élu, qui se trompe parfois par excès d’encouragements flatteurs, mais qui n’a que trop peu anticipé les difficultés, bien souvent immenses…
Alors voici quelques réflexes à avoir. Sans exhaustivité, mais en conscience.
Quelle est sa vision du changement ? Il en a forcément une, s’il n’en a pas, c’est mauvais signe. Où peut-il aller ? A quel horizon ? jusqu’où est-il réellement prêt à conduire le changement, à effectuer les sacrifices nécessaires, à les défendre en interne et auprès des actionnaires, à perdre maintenant pour gagner après ? Même questions pour les actionnaires : jusqu’où sont-ils prêts à rogner sur la rentabilité à court terme pour un gain ultérieur ?
Identifier les sponsors et soutien réels ou potentiels, ceux qui ont intérêt au changement, et les détracteurs, ceux qui ont le plus à perdre, ceux qui ont peur. On n’entre pas dans une bataille sans connaître ses alliés, les vrais, et ses ennemis. Si aucun allié n’est identifié, là aussi, vigilance.
Il vous faut des équipes bien calibrées pour vous soutenir et surtout pour vous décharger d’un opérationnel fastidieux et chronophage afin de vous laisser le champ libre pour tout le travail de lobbying et de politique interne qui va constituer 70 % de votre temps à minima.
Faîtes vous accompagner ! Surtout si vous n’avez aucune expérience dans la conduite de la transformation. Négociez une mission de conseil d’une année avec un cabinet qui a l’expérience de la conduite de la transformation. Ce n’est pas un aveu de faiblesse, c’est faire preuve de réalisme et de clairvoyance. Ils vous aideront à organiser les chantiers, à trouver des sponsors haut niveau, à gérer une gouvernance complexe, à récupérer les informations clefs et à les synthétiser, à obtenir des ressources et du temps de la part des équipes, à convaincre et à arbitrer.
Enfin le cachet d’un tiers de confiance renommé n’est pas sans valeur auprès d’un comité exécutif ou des actionnaires. Vous ne serez ainsi pas le seul à porter la vision et dans les grandes organisations c’est souvent nécessaire.
Idéalement, mais ce n’est pas toujours possible, il faudrait que votre périmètre comprenne un bout du P&L. Il est plus aisé de faire entendre sa voix et d’obtenir gain de cause lorsqu’on génère des revenus additionnels pour l’entreprise que lorsqu’on est juste un centre de coûts. Ce n’est pas nouveau et cette règle s’applique d’autant plus sur des sujets de transformation.
Ne considérez pas les équipes historiques comme de sombres ignares. Mettez-vous à leur place. Essayez de comprendre leurs enjeux, leur quotidien, leurs objectifs et leur frustration. Demandez-leur ce qui pourrait changer leur vie au travail, ce qui pourrait leur permettre de mieux performer ou d’y être plus heureux : faire une petite campagne de connaissance mutuelle n’est pas sans intérêt.
Plutôt que lancer de suite les grands travaux, commencez par des petits pas. Montez une taskforce agile avec des équipes venant des services qui vont être les premiers impactés par la transformation. Faites-leur construire un POC (oroof of concept), le POC qui montrera qu’avec peu, on peut gagner beaucoup. Ainsi l’amorce du changement viendra des équipes historiques et non de vous.
Vous gagnerez en faisant s’approprier le changement par ces forces vives, en les valorisant. Elles seront vos premiers ambassadeurs et vous en aurez besoin.
Une fois le POC réussi, communiquez dessus, et là-dessus uniquement, à tous les étages, en mettant les équipes au cœur du succès. Soignez votre communication. Vous avez peu de temps pour convaincre un comité exécutif souvent quelques minutes seulement. Soyez précis, simple, pragmatique et percutant.
Et mettez les équipes au cœur de cette communication. Le cas échéant la transformation sera associée à un premier succès venant des équipes. Des lors, l’effet papillon se passera. D’autres idées viendront, d’autres personnes voudront participer, la graine du changement commencera à essaimer.
Avec la DSI, le marketing, le commerce et les services concernés selon l’organisation de l’entreprise. Sans eux, point de salut. Sans eux, vous ne pourrez pas passer du POC à l’industrialisation des projets et la conduite des grands chantiers de transformation. Il n’y a pas de place pour une guerre ouverte entre ces dirigeants dans la conduite du changement.
Pour les SI en particulier, en charge de garantir la qualité de la production, le CDO, porteur d’innovation, peut vite devenir le fauteur de trouble. Celui qui peut remettre en cause l’équilibre établi. Pourtant, la transformation digitale est une occasion pour les SI de sortir de l’ombre. Tout est question d’angle d’attaque et de manière d’aborder la relation avec eux (voir les points 6, 7 et 8).
Le chemin est semé d’embuches, la tâche est lourde, souvent ingrate, et rares seront les félicitations. Souvent d’autres s’attribueront le succès. A ceux qui aiment mesurer rapidement les impacts de leurs actions, ce job n’est pas pour vous. Pour mener à bien votre mission être un leader ne suffira pas. Il vous faudra un sens aigu de l’entrejeu, de la politique, de la capacité de convaincre, et, souvent, de la persévérance face à la résistance et de la résilience en milieu parfois hostile.
En appliquant au mieux ces principes de travail, l’entreprise mettra tous les atouts de son côté pour réussir l’intégration de son responsable de la transformation et in fine sa digitalisation.